Les bonnes nouvelles venues d’Italie se font rares ces temps-ci. Le refus du nouveau gouvernement de ratifier le CETA, le traité de libre-échange entre l’Union Européenne et le Canada, doit pourtant être salué, tant le débat sur les traités de libre-échange a été escamoté partout en Europe ces dernières années.
En France, depuis plusieurs mois, le président de la République se dérobe en retardant le débat parlementaire sur la ratification de l’accord. Lui-même s’est résolument engagé en faveur de l’accord durant la campagne présidentielle en dépit d’une large contestation de la société civile européenne dont il souhaite pourtant être le héraut. Mais il sait que les divergences existent jusque dans les rangs du gouvernement. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, n’a-t-il pas signé en janvier 2017 une tribune contre le CETA ? La fondation Nicolas Hulot ne dénonce-t-elle pas de longue date un accord « climaticide » ?
La ratification du CETA n’a, en réalité, pas de justification économique robuste. De l’aveu même de la Commission européenne, les gains en termes de croissance sont inexistants. Ils sont mêmes jugés
légèrement négatifs par une étude indépendante menée par une université américaine dont le scénario
central comprend la perte de près de 200 000 emplois européens d’ici 2023.
L’agriculture, notamment la filière bovine, pourrait être particulièrement touchée alors même que le secteur est déjà fragilisé par la baisse de la consommation de viande. Dans le même temps, l’intensification des échanges entre les deux zones conduira mécaniquement à une hausse des
émissions de gaz à effet de serre du fait de l’intensification du transport maritime et aérien.
En dépit de ces faiblesses, l’accord est présenté comme une vitrine de la nouvelle doctrine européenne « d’accord global » comprenant des dispositions sanitaires et environnementales. Or, le traité néglige très largement ces enjeux. Les dispositions relatives à la protection de la santé et de l’environnement contenues dans le CETA ne sont pas impératives.
Le principe de précaution, absent de la législation canadienne, n’est pas non plus explicitement mentionné. Le CETA s’en tient à l’équilibre des accords de l’OMC alors qu’à deux reprises les
réglementations de l’UE ont été attaquées avec succès devant son organisme de règlement des différends. Enfin, le traité est silencieux concernant la responsabilité des entreprises et elliptique sur celle des investisseurs.
L’inquiétude autour du mécanisme de règlement des différends ne s’est pas dissipée. Le CETA continue de prévoir une justice d’exception parallèle pour les investisseurs internationaux. Cela introduit une rupture d’égalité avec les investisseurs européens qui relèvent, pour leur part, de la compétence des juges
nationaux. Une telle différence est injustifiable dans des démocraties où le niveau de protection juridique garanti à tous par le système judiciaire est élevé.
Nous proposons de réécrire graduellement les règles de la mondialisation en adéquation avec les préférences collectives des peuples et sans disqualifier les États. Il ne peut plus y avoir de libre-échange en échange de rien, et surtout sans garde-fous. Les accords actuels sont encore exclusivement
commerciaux et passent à côté des grands défis du XXIe siècle : les défis environnementaux, sanitaires, sociaux et fiscaux.
Ce défi réside également dans la méthode : il est dorénavant inconcevable que les accords commerciaux soient signés à l’écart des représentations nationales et dans le silence des peuples. Le mandat n’est pas un blanc-seing. Quel que soit le type d’accord négocié, une implication démocratique est indispensable. Si cette implication n’est pas institutionnellement prévue, elle se manifeste hors les murs, comme le montrent les trois millions de signataires de l’initiative citoyenne européenne contre le CETA et
le TAFTA.
Nous souhaitons faire des futurs accords commerciaux des accords véritablement complets, où les aspects environnementaux et sociaux ne seront pas une composante marginale et accessoire, mais des paramètres conditionnant l’effectivité des traités et ayant un aspect contraignant. Ces paramètres seraient
assortis de possibilités de sanctions prévues par le droit international public ou le droit de l’OMC. Aujourd’hui un État qui ne respecte pas les grands engagements environnementaux et sociaux est un État qui exerce une concurrence déloyale à l’encontre de ses partenaires et une pression au « moins-disant ». Il ne doit pas pouvoir agir en ce sens en toute impunité.
Pour que cette démarche soit juste, il faut pouvoir se fonder sur un référentiel commun, légitime et objectif. Ce référentiel pourrait reposer sur les grands engagements internationaux : l’accord de Paris, la convention cadre des nations unies sur les changements climatiques, les conventions de l’organisation
internationale du travail. Ils ont l’avantage d’être largement ratifiés à travers le monde et d’être scientifiquement étayés et socialement acceptés.
Afin que ces exigences sociales ou environnementales ne deviennent pas une excuse à représailles ou une arme commerciale de la part de certains pays, pourquoi ne pas confier à ces mêmes instances internationales, représentantes de l’ordre public international, le soin de dire qui respecte et qui ne respecte pas ces engagements « universels » ? L’expertise de telles institutions, associées à d’éventuelles revues des pairs, permettrait aux États de sanctionner légitimement les pays identifiés comme ne respectant pas les règles du jeu. Cela permettrait de remettre l’État au cœur des rapports de force commerciaux sans pour autant faire planer la menace de l’autarcie et du protectionnisme stérile. Il est en effet devenu urgent d’encadrer par des règles une globalisation qui, sans contrôle, fragilise plus qu’elle n’enrichit.