Note parue le 20 novembre 2015 sur le blog de Médiapart.
Le va-t’en guerrisme de la droite et de la gauche de gouvernement est une erreur.
L’intensification des bombardements qui a d’ores-et-déjà commencé est un piège. Elle est souhaitée par l’État islamique car elle soude les populations locales sunnites autour de lui. Ces populations, qui les blâmera ? Peut-on vivre sous un orage d’acier et penser que c’est pour son propre bien ? Quant à l’intervention au sol, elle serait un nouvel Afghanistan c’est-à-dire une victoire militaire suivie d’une déroute stratégique. Aujourd’hui, près de 15 ans après le début de l’opération onusienne sous commandement OTAN, les talibans sont présents dans des villes à moins de 30 km de Kaboul.
Une incursion de la force dans la région ne résoudra rien car la coalition n’a pas d’exit strategy. Elle sera une force d’occupation qui ne saura pas à qui remettre le commandement civil après les combats. Une fois la guerre gagnée, la paix sera perdue. Une fois de plus. Comme lors de l’invasion de l’Irak en 2003 par des forces coalisées à la recherche d’armes de destruction massive imaginaires. A cette époque la France avait eu le courage de se désolidariser en proposant une autre voie, celle des inspections. Elle l’avait fait avec raison car depuis, la région n’a fait que tomber de Charybde en Scylla. L’EI est né dans les décombres de l’opération Iraqi Freedom. Il a recruté ses chefs militaires parmi les anciens dirigeants du parti bassiste de Saddam Hussein. Ces derniers ont structuré et organisé l’EI pour en faire le proto-État qu’il est aujourd’hui. François Hollande doit résister à la tentation de devenir Georges Walker Bush. De ce point de vue, le vocable de la war on terror n’est pas rassurant.
L’intensification des bombardements qui a commencé consiste en un ralliement silencieux à la stratégie russe de renforcement de Bachar el-Assad, un homme qui a le sang de 240 000 de ses compatriotes sur les mains. Un homme qui a javellisé une partie de sa population. Ce n’est pas parce que 129 des nôtres sont tombés que ce fait capital doit être jeté dans les eaux du Léthé. On peut être patriote mais on ne peut pas oublier d’être chrétien. Les populations de la région ne nous pardonneront pas ce ralliement. Et elles auront raison. A partir de ce ralliement, la haine de l’Occident grandira en Orient. Cette haine donnera naissance à un nouvel ersatz d’EI ou renforcera l’EI lui-même en précipitant des départs.
Notre devoir est donc dans le refus de l’intensification de l’intervention française et dans une doctrine de type containment de l’EI, un blocus. L’EI vit du pétrole de contrebande, des trafics divers dont le trafic d’œuvre d’art et des soutiens financiers de pays ou de particuliers amis. Les frontières du territoire de l’EI doivent être rendues hermétiquement clauses aux flux humains, financiers et matériels. Les monarchies du golfe doivent cesser leur double-jeu à la pakistanaise et si elles le refusent, être désignées comme ennemis ce qui implique des sanctions et notamment le gel de leurs avoirs en Europe où elles ont de nombreux intérêts. La frontière turquo-syrienne doit devenir forteresse car c’est par elle que transite une très large part du pétrole de contrebande. Dans le même temps, les services antiterroristes intérieurs doivent être réorganisés afin d’éviter autant que possible la survenance de nouveaux attentats. Dans cette optique, la France ne s’interdira pas de faire, comme elle le faisait jusqu’ici, des frappes localisées et limitées sur des camps d’entraînement qui préparent des djihadistes en partance vers l’Europe. Avec cette stratégie, il y a une chance que cet État naissant devienne rapidement un État effondré où tellement appauvri qu’il renoncera de fait à l’extension du conflit. De plus, en coupant les financements extérieurs et pétroliers, on aboutit à une augmentation du racket pratiqué sur les populations locales et on les détache de l’État islamique. On retourne ainsi contre eux la stratégie de dislocation de la société qu’ils tentent de pratiquer en Occident.
Si cette stratégie échoue alors ce sera la guerre mais nous aurons gagné du temps et ce temps est précieux. Cette guerre, l’Europe devra sans doute la faire seule et doit donc reconstituer ses forces. Le soldat Ryan ne reviendra pas. Les Etats-Unis sont en train de réaliser leur pivot stratégique vers le Pacifique et de délaisser la région. Les technologies de schistes – dont il est estimé qu’elles rendront les Etats-Unis indépendants énergétiquement dès 2020 –, font que les américains ont un intérêt déclinant pour le Moyen-Orient en général et les pétromonarchies en particulier. Les alliances classiques risquent donc de ne pas jouer. L’Europe est la seule zone du monde où les dépenses militaires ont baissé. C’est une erreur. Cette erreur doit être corrigée au plus vite. L’augmentation des dépenses militaires et antiterroristes ne doit pas faire l’objet d’une comptabilisation dans le déficit maastrichtien et surtout, la BCE doit pouvoir financer à taux zéro l’ensemble des investissements en la matière. Ainsi, les États européens seront tous incités à se réarmer. Ils pourront décider de le faire de manière coordonnée ou seuls. L’important aujourd’hui n’est pas là.